Entretien
06.07.2022

« La numérisation du système de santé est une opportunité immense. »

La Fédération des médecins suisses (FMH) s’engage depuis des années en faveur de l’introduction du dossier électronique du patient (DEP). Dans cet entretien, Alexander Zimmer*, membre du Comité central, et Reinhold Sojer**, chef de la division Numérisation, parlent de leurs attentes.

Fin avril, le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral de l’intérieur de réviser entièrement la loi fédérale sur le dossier électronique du patient. Qu’en pensez-vous ?

Reinhold Sojer : En 2018, les délégués de la FMH se sont prononcés en faveur du soutien et de la diffusion du dossier électronique du patient. Nous continuons à soutenir son introduction et la FMH se penchera attentivement sur la révision de loi prévue. Nous verrons si les mesures proposées sont suffisantes pour faire progresser le DEP.

 

Qu’est-ce qui vous paraît particulièrement important ?

Alexander Zimmer : Pour les médecins, le DEP ne sera un soulagement que lorsqu’il sera utilisé à grande échelle et qu’une part importante de la population y participera. Tant que les patients n’y auront recours qu’exceptionnellement, il constituera pour moi un surcroît de travail considérable.

 

Il est également prévu d’améliorer la structure du DEP.

Reinhold Sojer: Nous sommes bien sûr favorables à tout ce qui peut améliorer l’utilisation quotidienne du DEP. Cela inclut bien entendu la possibilité de regrouper les données dans un stockage dynamique.

 

À l’avenir, tous les professionnels de la santé travaillant en ambulatoire devront tenir un dossier. Comment voyez-vous cela ?

Reinhold Sojer : Si le DEP est obligatoire, les médecins âgés risquent de fermer prématurément leur cabinet en raison des investissements assez élevés qui s’avèrent nécessaires. Les conséquences seraient regrettables : aujourd’hui déjà, on manque cruellement de médecins de famille (étude Workforce du canton de Berne). Ceux-ci ont du mal à trouver des successeurs avant leur départ à la retraite. Leur rôle dans le système de santé est pourtant crucial : 94 % de tous les problèmes médicaux peuvent être traités dans un cabinet de médecine générale. Il est donc très important de prévoir un délai de transition suffisamment long.

 

Par le passé, les médecins ont réagi de manière très variable au projet du DEP. Quels sont les retours que vous recevez ?

Alexander Zimmer : Les réactions du corps médical à l’égard du DEP sont variables. Cela tient souvent au fait que nombre de mes confrères ne savent pas ce qu’est exactement le DEP, et encore moins comment il fonctionne. Il en résulte une certaine incertitude au sein de la profession. Une autre raison pour laquelle les réactions sont critiques est l’investissement que cela implique et la crainte, malheureusement tout à fait justifiée, que le DEP n’entraîne encore plus de charges administratives, au lieu de les réduire. Et cela, il faut l’éviter à tout prix.

 

« Des études montrent qu’un dossier électronique favorise l’engagement des patients (adhésion thérapeutique) et améliore la réussite des traitements. » Alexander Zimmer

 

Quels sont les avantages du dossier électronique du patient selon vous ?

Alexander Zimmer : Comme son nom l’indique, le dossier électronique du patient s’adresse en premier lieu aux patients. Il leur permet d’avoir directement accès à leurs informations médicales importantes. Des études montrent qu’un dossier électronique favorise l’engagement des patients (adhésion thérapeutique) et améliore la réussite des traitements.

Reinhold Sojer : Le dossier électronique peut aussi offrir des avantages au corps médical. Lorsque les patients se comportent de manière responsable, les professionnels de la santé disposent d’une meilleure vue d’ensemble des traitements reçus dans d’autres établissements de soins. Pour être efficace, le DEP doit toutefois être parfaitement intégré dans le système primaire. Il est en outre nécessaire de structurer les données de manière à pouvoir trouver rapidement les informations importantes. Cela étant, nous ne pouvons pas compter sur le fait que les patients auront toujours un dossier complet et à jour. C’est pourquoi le DEP ne saurait encore remplacer le rapport de sortie transmis par l’hôpital au médecin traitant.

 

La FMH émet régulièrement des propositions pour une mise en œuvre du DEP efficace et adaptée à la pratique. Qu’est-ce qui est important selon vous ?

Alexander Zimmer : La charge administrative engendrée par le DEP ne doit pas affecter le temps disponible entre les médecins et leurs patients. Il ne faut pas que les tâches administratives augmentent. Tout le monde est d’accord sur ce point.

Reinhold Sojer : Oui, le DEP doit allier économicité et adéquation. S’il ne répond pas aux besoins des professionnels de la santé, il deviendra une charge supplémentaire. Par exemple, si les médecins sont obligés de saisir manuellement les documents. Ou s’il est difficile d’avoir une vue d’ensemble des données importantes pour le traitement. Dans le cadre de notre collaboration au sein du groupe de travail interprofessionnelle (GTIP), nous nous employons à ce que la mise en œuvre suive les processus dans la collaboration interprofessionnelle.

 

« La numérisation doit faciliter le quotidien des médecins. » Reinhold Sojer

 

Comment le DEP peut-il faciliter le travail des médecins ?

Alexander Zimmer : La FMH élabore actuellement une recommandation visant à intégrer le DEP dans l’organisation des cabinets de manière à permettre une utilisation efficace.

Reinhold Sojer : La numérisation doit faciliter le quotidien des médecins, et non être une fin en soi. À l’heure actuelle, le corps médical consacre un temps considérable à l’étude des dossiers et aux tâches administratives. Le DEP doit donc être directement accessible à partir des outils de travail quotidiens des médecins. Il doit être au préalable introduit dans les systèmes primaires correspondants. Cela permettra aussi d’accéder rapidement à des données pertinentes pour le traitement pendant une consultation ou un acte médical.

 

Cela ne devrait pas être trop compliqué, si ?

Reinhold Sojer : Aujourd’hui déjà, plus de 70 % des médecins ambulatoires documentent les données de leurs patients sous une forme structurée dans un dossier médical électronique. Dans les domaines du diagnostic en laboratoire et de la médication, les informations sont même hautement structurées. Des incitations supplémentaires pourraient encourager les fournisseurs de logiciels pour cabinets médicaux à reprendre ces structures de données, comme le préconise eHealth Suisse.

 

La majorité de la population a visiblement l’intention d’ouvrir un DEP chez son médecin de famille. Qu’en pensez-vous ?

Reinhold Sojer : C’est compréhensible. Les médecins de famille sont un premier et important point de contact pour les patients. Je peux facilement imaginer que des cabinets médicaux envisagent de proposer à leurs patients d’ouvrir un dossier électronique. Cependant, les médecins ne disposent en moyenne que de 20 minutes par consultation. L’ouverture d’un DEP requiert probablement au moins autant de temps. Or, les médecins ne sont pas rémunérés pour cette prestation supplémentaire.

Alexander Zimmer : Le Conseil fédéral a rejeté ce type d’indemnisation dans son rapport donnant suite au postulat Wehrli. L’ajout d’une position tarifaire adaptée au DEP présenterait de nombreux avantages selon nous. En plus d’être approprié et juste d’un point de vue économique, cela permettrait d’identifier précocement les dépenses liées au DEP et de prendre des contre-mesures.

 

La FMH s’engage en faveur du DEP depuis des années. Comment se passe la collaboration avec la Confédération ? Vos propositions sont-elles prises en compte ?

Alexander Zimmer : Il s’agit d’une collaboration constructive. En fin de compte, nous aspirons tous au même objectif, même si nos priorités peuvent parfois différer dans la mise en œuvre détaillée. Au cours du processus législatif, la FMH a par exemple veillé à ce que les patients n’aient pas besoin d’un numéro AVS pour s’identifier. Le DEP mis sur pied par la Confédération garantit dorénavant un niveau élevé de protection des données. En 2014, nous avons soutenu la création du groupe de travail interprofessionnel « GTIP DEP ». Notre association, qui a été renommée « GTIP eHealth » en novembre 2021, représente près de 100 000 professionnels de la santé facturant leurs prestations à l’assurance de base obligatoire. Nous avons notamment élaboré des recommandations concernant la médication et les rapports de sortie. La Confédération applique désormais nos recommandations pour les formats d’échange.

 

À long terme, quelles sont les promesses du DEP ?

Alexander Zimmer : La numérisation du système de santé est une opportunité immense. En premier lieu pour les patients, cela va de soi, mais aussi pour nous, les professionnels de la santé, qui mettrons à profit cet outil d’information supplémentaire. Par conséquent, la FMH soutient le développement d’une solution économique, adaptée aux besoins des médecins.

Reinhold Sojer : Toutes les parties prenantes doivent pouvoir tirer parti des avantages de la numérisation. C’est de cette manière que le DEP s’intègrera dans la pratique.

 

 

*Dr. med. Alexander Zimmer est membre du Comité central de la FMH, responsable du département Numérisation / eHealth, et médecin spécialiste en psychiatrie et psychothérapie

 

 

**Dr. Reinhold Sojer est chef de la division Numérisation / eHealth de la FMH

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